Retrouvailles

Les retrouvailles
 
Ma chère Christiane
 
Je suis installée, mal installée, dans ce train à grande vitesse qui me mène vers toi. Curieuse idée, n'est-ce pas, de t'écrire alors que nos retrouvailles auront lieu dans moins de quatre heures.
Mais que veux-tu, les poids des habitudes, sans doute. C'est vrai je viens d'avoir 82 ans et je n'interromps pas 42 ans de correspondance comme ça ! Eh oui, quarante-cinq lettres, trois la 1ère année, puis une par an.
 
Je les ai tous relues. Façon surtout d'apaiser l'angoisse de te retrouver après tout ce temps. J'ai l'impression de patauger dans la nostalgie ! Tu avoueras que nos relations épistolaires ne t'ont pas habituée à ça, non ? Mais retrouver d'un bloc tous ces souvenirs...Ce train à grande vitesse se transmute en machine à remonter le temps !!!
 
Alors, je t'explique, départ TGV gare Matabiau.
 
Çà,  c'est le nom officiel.
 
Une fois plantée là, nécessité de s'évader au plus vite par le premier train venu. En espérant prendre la bonne direction...
 
Voilà pour le décor.
 
L'organisation vaut le détour...un employé, pardon, un agent d'accueil... pour toutes les gares ! Il délivre les billets, enfin aux quelques ploucs comme moi allergiques aux commandes sur internet.
 
Enfin voilà ! Je suis dans le train ! Confort moyen, mais bien. Pas l'impression de rouler vite.
 
Les couloirs sont un peu étroits par contre. Je dis ça, c'est surtout en égard de mon voisin de droite. Bel homme. Quarantaine. Bien dans sa peau. la classe...jusqu'à ce qu'il retire ses chaussures...à l'aise...les jambes étendues. Seul au monde...
 
Mais qui pue des pieds !!!
 
J'ai d'abord cru qu'un gars du nord nous préparait une raclette au maroilles...mais non...
 
Mais, tu te rends compte, à 82 ans, j'étais plus gênée que lui !!! Au moins, dans une voiture, on peut ouvrir les fenêtres !!! Monsieur " qui pue des pieds", se lève, puis remets ses chaussures et change de compartiment, tant mieux, enfin libérée !!!
 
Je ne sais pas si c'est par association d'idée, type fromage ou dessert, mais j'ai décidé de me rendre au wagon-restaurant.
 
 Au bar, quoi,  ce n'est pas l'orient-express non plus...
 
Je te passe les détails de la file d'attente. Je regarde le menu, zut j'ai oublié mes lunettes dans le compartiment. J'étais partie pour le plus simple, le jambon-beurre de base. Mais, voilà pas de sandwich...mais enfin si, sans baguette...du wrap poulet !!! tu connais ça, toi, du wrap ? Visiblement une espèce de crêpe plate, froide...
 
Je me suis réfugiée derrière le club saumon, à cause du pain. De mie. Mieux que rien. Le tout servi dans un sac à vomi...prévoyant, le service restauration...
 
Donc, un club poissonnier, une bière, un café : 15 euros ! Facile à convertir, même pas moi ! Cent balles le casse-dalle, ça fait cher. Ma chère sœur, je me suis mise à la bière, c'est vraiment bon !!!
 
Et côté dégustation...comment dire...pas mauvais, non...pas bon non plus...insipide...
un non-goût.
 
Après ça, heureuse de boire un jus de chaussette ! Dégueulasse, mais tu revis, t'existe !!!
Fortiche la SNCF pour te faire apprécier leur café ! ça pour le goût, c'est du service public !
 
Après toutes ses émotions, une petite sieste s'impose. Oh ! pas à cause de la digestion...non, façon de faire défiler plus vite le paysage.
 
Et c'est là que j'ai pris conscience de ce bruit...incessant...un truc à te faire couper ton sonotone pour être peinard...mais voilà, question ouïe, je suis au top. C'est plutôt la vue qui part en guenille...le labrador et la canne blanche me guettent...
 
Une radio ? France info ?
 
Enfin, moi, je le trouvais surtout...très antipathique.
 
Quand ce petit bout de femme l'a stoppé net
 
                  - Vous ne pouvez pas parler moins fort, non ? Vous n'êtes pas tout seul ici !
Un ange !!! Tout de noir vêtu...elle s'est repliée sur elle-même, intimidée par sa propre intervention au courage salutaire...
 
Je me souviens, ma sœur, de nos bêtises, nos escapades...oui, je me souviens....
 
J'ai dû m'assoupir...la voix du contrôleur toulousain m'a sorti de ma torpeur...j'adore cet accent, même les mauvaises nouvelles prennent des allures de thé dansant.
                    - Un médecing est attendug en voiture 15, première classe, à côté du bar.
  
Un léger brouhaha dans le wagon comme une rumeur qui monte...puis le silence...deux, trois personnages passent dans le couloir, d'un pas rapide... Le coup de bol, une équipe du SAMU en pèlerinage ? 
 
Non, visiblement, juste des curieux !
 
Le tumulte s'amplifie...certains se lèvent pour aller aux nouvelles...on ne sait pas, ils ne nous laissent pas passer !!! Ils ne trouvent pas de docteur, un malaise, je crois...
 
Voilà ma chère sœur, ce qui se passe dans ce train, plus que quelques minutes pour se revoir. Je ne pense pas te remettre ce courrier. je te raconterai de vive voix mon voyage à grande vitesse.
 
A tout à l'heure sur le quai, je ne sais toujours pas si j'ai pris la bonne direction...
 
Je t'embrasse, affectueusement, ma chère sœur.
 
Martine Allard 2020
 
SOUS LICENCE CREATIVE COMMONS CCBYNC
 

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